lundi 26 juillet 2010

L'établi

Dans son livre « L'établi » Robert Linhart (1) raconte son expérience. Comme un certain nombre d'étudiants maoïstes, après 1968, il s'était fait engagé comme ouvrier dans une usine automobile. Je ne reviendrais pas ici sur l'aventure de ces « établis » qui comporte des éléments enthousiasmants mais aussi d'autres fort discutables. Ce n'est pas ici le sujet. Par contre l'observation qui est faite dans ce livre de la condition ouvrière dans cette usine est très pertinente et, curieusement, peu conditionnée par des aprioris idéologiques.
Un épisode qui est particulièrement significatif est celui de l'établi. Un ouvrier en bout de chaîne était chargé de redresser les ailes qui n'avaient pas une qualité suffisante pour être laissé dans le circuit et pas assez mauvaises pour être mises au rebut. Il s'était bricolé son établi au fil du temps. Ces aménagement, trous pour passer les outils, serres joints posés en biais...etc...lui permettaient de débosseler n'importe quelle pièce sans avoir à la déplacer sur l'établi. Un jour des messieurs des méthodes sont passés et ont observé cet ouvrier. Ils ont constaté un haut niveau de productivité. Ils ont aussi constaté que son établi ne correspondait à aucune norme connue. « Si il avait un établi moderne et fonctionnel, sa productivité augmenterait encore ». Un matin l'ouvrier est arrivé, son établi avait été remisé dans un coin de l'atelier. A sa place trônait un « superbe » établi moderne avec des réglages pour l'inclinaison, la hauteur ...etc...L'ouvrier se mit au travail fort dépité. Le nombre de pièces qu'il pu exécuter dans la journée fut beaucoup plus faible qu'à l'ordinaire. Au bout de quelques jours après des demandes insistantes il pu récupérer son vieil établi. Mais il était cassé et jamais plus il ne retrouva sa fierté de faire vite son travail.
Dans un environnement extrêmement difficile, cet homme avait gardé la maîtrise, au moins partielle, de son travail. Lui enlever ce peu de maitrise, l'avait cassé.
Bien sur comparaison n'est pas raison, mais ne vit-on pas une expérience comparable à Pôle-Emploi. Certes dans une activité tertiaire, il ne s'agit pas d'outils mais de maitrise, même partielle, de son organisation de travail. On pourrait supposé que chaque conseiller ait un nombre de demandeurs d'emploi, d'offres d'emploi et d'entreprises à suivre. Par ailleurs il aurait un certain nombre de permanence çà assurer pour le travail commun (accueil des demandeurs d'emploi, accueil des entreprises, animation d'ateliers...etc...), le reste du temps il organiserait son travail comme il l'entend dans le cadre des objectifs qui lui sont fixés. Ce n'est aucunement ce qui se passe. Un planning très précis est établi, tel demi journée vous devez recevoir les demandeurs d'emploi ayant atteint le 4èm mois d'inscription (PAE2 dans notre jargon), telle demie journée vous devez recevoir les autres demandeurs d'emploi dont vous avez la charge, telle demie journée vous devez appeler au téléphone les demandeurs d'emploi que vous ne recevrez pas physiquement ce mois là, telle demie journée vous devez prospecter les entreprises. Ajouter à cela que chaque jour vous changer de bureau, le conseiller n'a plus aucune maitrise de l'organisation de son travail. Le matin il arrive et regarde sur le planning où il doit s'asseoir et ce qu'il doit faire. Bien sur ce mode d'organisation est plus ou moins poussé selon les agences, il est probable que sur certains sites plus de marge de manœuvre soit donné aux conseillers. Mais le paramétrage du logiciel de planning est fait pour que cette organisation rigide soit possible, elle est même largement suggérée. Pense-t-on que les conseillers seront plus efficaces avec cette méthode. Le résultat sera probablement inverse. On leur fait aucunement confiance. Peut-être a-t-on peur qu'ils ne veuillent pas faire entrer quatre éléphants dans une deux chevaux (voir ma première chronique sur ce blog).

(1) L'établi - Robert Linhart - Editions de minuit 1978 (réédité en 2004).